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 L'héritage de Pankow.

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GIGI
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GIGI
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L'héritage de Pankow. Empty
MessageSujet: L'héritage de Pankow.   L'héritage de Pankow. Icon_minitimeMer 9 Nov - 19:39

Il date, ce texte, tout de même.
Enfin, il reste un de ceux où je suis le plus fier.
ça fait longtemps que je l'ai posté dans plusieurs forums, mais bon, celui-là n'a rien eu de ma part. Donc...
Ah et au fait.
Il n'y a pas de Pokémon, et je vous conseille de vous munir d'un dictionnaire sisi


Zus — L’Héritage de Pankow



—PREMIÈRE PARTIE—



Les steppes de Pankow. « Loin, froid, dangereux » disait-on. Quelques masures délabrées peuplaient ces étendues désertiques, asséchées par le climat des mauvais ans. De rares chemins de terre battue sillonnaient les quatre coins du pays, telles des artères bouchées de petits hameaux encroutés de misère. Au cœur de ce royaume de loups blancs et d’hermines sauvages, les maigres pins gris découpaient l’horizon vert des aurores d’hiver. Les Pankowites, habitants de cette région reculée de Transsibérie, étaient de proches cousins des nomades samoyènes engorgeant la route de leurs longues caravanes chargées de fourrures, de vieillards et de bonaventures.

À la croisée du fleuve Spacib et de la route menant vers les ports septentrionaux de la vaste et puissante Réunion, une cabane chétive se dressait à l’ombre d’une colline où trônait un genévrier. Ce conifère millénaire, délaissé, noirci, et aux branches crochues, témoignait d’une antique époque où l’Homme n’avait pas encore construit ses gigantesques cités se nourrissant quotidiennement de forêts et des entrailles crasseuses du sol. Au pied de cet arbre, deux silhouettes s’affairaient à quelque inhabituelle tâche. Un père et son fils, l’un sec comme le vent qui battait son visage blafard et l’autre maigre et voûté comme un clou mal enfoncé.

—Dépêche-toi, sale mioche. Pour partir, c’est maintenant ou jamais, fit le quinquagénaire en frottant ses mains calleuses.

Vlad Tarkov gratta sa barbichette noire truffée de mèches poivre et sel, l’air songeur. Son visage, parcouru de profondes rides et à la peau défraîchie par la fumée de pipe, arborait un sourire déformé par des joues creuses et osseuses. Alors que ses cheveux gras et noirs reposaient sur les minces épaulettes de son manteau en cuir d’ours, Vlad sentit le vent souffler contre sa nuque au cou barré. Bien que le froid lui mordît le bout des doigts, il restait éperdument amoureux de cette sensation givrée luttant contre son regard teinté du vert des vieux mélèzes.

—Oui, père, répondit le fils.
—La caravane doit arriver ce matin, donc tu fermes ta gueule et tu essaies de pas avoir l’air trop bouseux. Compris? siffla le paternel entre ses dents jaunes.
—Oui, père.
—Les valises sont prêtes?
—Oui, père.
—Ne m’appelle pas comme ça, maugréa l’adulte.

L’enfant se tut, son éternelle mine résignée et abattue tournée vers le sol. Le duo attendit une bonne heure, passée à s’ignorer mutuellement tout en observant les steppes. Une deuxième passa, plus lente et froide qu’à l’accoutumée. Puis enfin, une filée hétéroclite de charrettes, traîneaux et wagons harnachés de solides étalons finit par atteindre la croisée des chemins. À la tête du convoi, un grand homme à la peau aussi noire que le bitume chevauchait une splendide jument alezane. Large d’épaules et couvert d’une armure sanglée de cuir, l’individu fit signe aux deux paysans d’approcher. Son air martial et autoritaire contrastait fortement avec l’éclat vicieux et insoumis ancré dans le regard du Pankowite.
.

—Vous allez vers la cité de Pankow? demanda Vlad en pointant l’autre bout du chemin.

Le militaire acquiesça sans piper mot.
—On peut monter? demanda innocemment l’enfant, ce qui arracha un sourire au soldat.
—Je t’avais dit de la fermer, murmura Vlad en empoignant le bras de son fils, rouge de colère.
—Vous, là, fit l’homme à cheval d’un timbre de voix étonnamment profond.
—Moi? fit le père.
—Votre nom.
—Je suis Vlad Tarkov, fils de…
—Êtes-vous armé?
—J’ai mon fusil de chasse, si ça peut…
—Ça suffira. Nous sommes talonnés de près par l’armée de Réunion; placez-vous dans le wagon de queue.
—Merci, merci, bredouilla Vlad en se précipitant hors de la vue du cavalier.

Pendant quelques instants, Tarkov n’en crut pas ses yeux. Un homme à la peau noire… noire! « Par quelle malédiction? Quel supplice? » se demandait-il en courant dans la neige. Les fugitifs drapés de fourrures l’observèrent curieusement, l’air hagard. Le Pankowite l’ignorait de la même manière qu’il ignorait tout de ce qui dépassait les larges frontières des steppes. « Qui est-il? » résonna de nombreuses fois dans sa tête congestionnée par le gel. Il n’était évidemment pas d’ici, donc on pouvait exclure la possibilité d’un milicien ou d’un mercenaire des alentours. Forcément, il était étranger. Venu d’ailleurs, de trop loin pour qu’il puisse saisir la gravité des événements qui se déroulaient à l’instant dans tout Pankow, jusqu’aux portes de la cité du même nom. Tout avait été brûlé le long du Spacib, à ce qu’on racontait. Le « nègre » ne pourrait pas comprendre. Pas comprendre la rage, la honte, l’envie de se faire tuer sur place plutôt que de céder une seule acre aux crapules de Réunion. « Il n’aura probablement vu ici qu’un autre monde vide de sens, » songea Tarkov avec dédain.

Pourtant, Halbu le ‘Noir’ en savait bien plus long que Vlad ne l’imaginait.

***

—Je ne comprends pas comment Halbu fait pour garder son calme avec tout ce qui se passe, fit un des passagers du wagon de queue.
—Retourne sur le toit, Dragunov, fit un autre. Il t’a déjà dit qu’il ne fallait pas baisser la garde, surtout pas maintenant.
—Demain, on sera hors d’atteinte des foutus sauvages qui nous harcèlent depuis que nous avons traversé le Spacib, déclara un marchand en astiquant la crosse d’un revolver rouillé.
—Donc les forts frontaliers doivent être proches. On pourra enfin être escortés sans avoir à se les geler dehors, ricana Dragunov du dehors.

Vlad Tarkov les regarda tous, un à un. Tous Pankowites jusqu’au bout de leurs ongles encrassés. Certains possédaient les yeux bridés caractéristiques des septentrionaux, d’autres avaient le regard du bleu clair caractéristique des peuples ostronordiques. Ils étaient maigres pour la plupart —mis à part les rares à qui la guerre avait vraisemblablement profité—, leurs mains décharnées et rongées par la faim. Ils parlaient bas, leurs airs hagard et menaçant masqués derrière leurs barbes malpropres et touffues.

Une heure s’était écoulée depuis sa discussion avec le cavalier que tous appelaient Halbu. Une seule heure, et il ‘les’ détestait déjà tous. Trop bavards, trop curieux, insignifiants… il ne savait plus quelle insulte était sur le point de traverser ses lèvres pincées. Si peu savaient jouir du silence comme Vlad. L’intérieur métallique du wagon grinçait sous les cahots et les maladresses du cocher, éclairé par deux puantes lampes à huile accrochées au plafond.
—Vous, Monsieur Tarkov, d’où venez-vous déjà? demanda le gros marchand sans lever les yeux.
—Mgn… Ça me regarde, maugréa Vlad en se raclant la gorge.

Le fils observait les voyageurs en silence, emmitouflé dans une couverture trouée.
—Ça n’aura plus d’importance lorsque les Réunistes auront tout brûlé, murmura discrètement une silhouette tapie à sa droite.
L’enfant leva la tête, devinant instinctivement que cette phrase presqu’inaudible lui était adressée. Ses prunelles claires comme le vert des aurores se tournèrent vers l’ombre encapuchonnée assise à ses côtés. En fait, cette dernière était restée parfaitement immobile depuis que l’enfant et son père avaient ouvert les portes du véhicule pour s’y trouver une place.
—Tu as un nom, petit? demanda l’étranger sans attirer l’attention.
—Sergei, couina le garçonnet.
—Zucchabar, se présenta l’interlocuteur sans mouvoir un millimètre de son corps. Mais on m’appelle Zus.
—Pourquoi?
—C’est moins… C’est moins compliqué.
—Ah, fit Sergei.
—Tu ne parles pas beaucoup, pour un gamin de ton âge, remarqua Zus.
Les yeux sinople de l’enfant toisèrent le plancher de fer, sans trop chercher à répondre.
—Dommage, soupira l’étranger sous son capuchon avant de retourner à son mutisme.

Et les heures s’écoulèrent, monotones et cahoteuses.

***

—Halte! ordonna Halbu.

Le soldat dégaina sa carabine et descendit de cheval.
—Le fort… dit-il.
Fort-Neuf n’était plus qu’un amas de ruines fumantes. Les murailles de pin éventrées crépitaient dans un silence mort et triste, les flammes s’étant éteintes depuis un temps. Halbu prit une profonde inspiration, déçu. Non, pas déçu… plutôt attristé, poignardé en plein cœur. Il était loin de se trouver devant une forteresse aux murs de marbre hérissés de centaines de canons. Qu’avait-il cru? Les murs étaient si bas que n’importe quel badaud aurait pu les confondre avec des tranchées sortant à peine de quelques pieds du sol. Les corps des défenseurs du fort jonchaient la neige fondante, brunâtre et pestilentielle. Quelle avance les forces ennemies avaient-elles pu prendre à son insu? Des doigts, des bras, des moitiés, tiers ou quarts de cadavres coloraient sombrement la fresque. Certains avaient la gueule ouverte, d’autres les yeux sadiquement crevés.

Les ailes des charognards battirent furtivement, abandonnant leur festin aux regards désespérés des fugitifs épuisés.
—Je veux six patrouilles de quatre hommes chacune dans les décombres, décida Halbu, la mine assombrie. Que les civils montent le camp ici, à l’intérieur de l’enceinte. Faites des feux, cherchez des vivres, des armes, tout ce que vous pourrez trouver. Nous repartons demain à l’aube, quand les chevaux seront en état de continuer.
La plupart des leaders miliciens acquiescèrent sans dire mot; une première chez ces hommes malades d’orgueuil.

La nuit tombée, les Pankowites s’agglomérèrent autour des feux, gracieuseté des défuntes palissades. Les seuls à ne pas dormir étaient les veilleurs, eux-mêmes harassés par la narcose du froid leur mordant les joues, leur craquelant les lèvres et leur grugeant le bout des doigts. Pourtant, deux individus avaient trouvé mieux à faire que dormir. Il existe des gens pour qui la nuit est faite pour rêver éveillé, pour vivre plutôt que de s’abandonner au noir hypnotique du somme. Zus et Sergei, à l’insu de Vlad qui ronflait comme un ours polaire, exploraient avec un vif intérêt les décombres de Fort-Neuf, comme s’il s’agissait d’une visite touristique. Zucchabar et le petit Sergei se lançaient déjà des regards complices. Durant le trajet, ils s’étaient discrètement apprivoisés d’une manière peu commune chez les humains. Sans même se parler ou s’adresser la parole, ils s’étaient mutuellement observés. Ils s’étaient compris sans prononcer une parole. Le regard amusé et truffé de sarcasme du mystérieux voyageur aidait le môme à oublier les éclairs malveillants de son père. La passivité du gamin, sa retenue et ses quinquets pétillant d’une curiosité anormalement froide, voire scientifique, avaient immédiatement captivé l’étranger. Alors que l’enfant découvrait les rudiments de l’amitié, celui qu’on appelait « l’Oriental » apprenait à fréquenter quelqu’un d’ouvert, de démuni de toute forme de jugement soumis à son ignorance.

—Tu vois, mon petit Sergei, fit Zus en approchant lentement ses lèvres de l’oreille de l’enfant, l’une des plus ignobles ironies du monde des vivants, c’est qu’on n’apprend la vérité sur quelqu’un que lorsqu’il a fait face à la mort.
L’oriental fit quelques pas vers une silhouette brouillonne étendue sur le sol glacé; un soldat tué au combat.
—Approche, n’aie pas peur, murmura-t-il d’un ton doucereux.

Sergei s’approcha à pas gênés.
—Regarde-le bien attentivement, continua Zus en effleurant de la main le visage du macchabée. Ne ferme pas les yeux, ne fais que le toucher. Qu’est-ce que tu ressens?
—C’est… c’est froid, remarqua Sergei en tâtant la peau moite et verdâtre.
—Mais encore?
—C’est humide, visqueux.
—Regarde-le dans les yeux.
—Mais ils sont fermés! s’indigna l’enfant.
—Alors, ouvre-les, suggéra Zus.
—Mon père dit que c’est sacripant.
—Sacrilège.
—Voui, fit Sergei en hochant faiblement la tête. C’est interdit.
—Et c’est justement parce que c’est interdit que tu vas le faire.

Le petit Tarkov se résigna, les lèvres tremblantes. Les iris gris étaient couverts d’une fine pellicule laiteuse, inanimés.
—Et puis? demanda l’oriental. Qu’est-ce que tu vois à présent?
—Ben, rien. Il ne bouge pas.
—Et si tu es un brin plus attentif?
Zus se frotta discrètement les doigts, desquels jaillit une fine étincelle verte. Au moment même ou le gamin plongea son regard au creux du noir rétinien, il vit une forme blanchâtre se dessiner.
—Je vois une main. Une main crispée comme si elle cherchait quelque chose.
—Et maintenant?
—Elle bat l’air. Elle frappe dans le vide.
—Elle lutte.
—Elle est couverte de sang.
—Elle souffre.
—Elle gratte le sol.
—Elle supplie.
—Elle… elle…
—M’oui, on ne s’y habitue jamais la première fois, conclut Zus en fermant les paupières du cadavre.
—Comment ça, la première fois?
—Qu’as-tu vu, au dernier instant? l’interrompit l’Oriental. N’était-ce pas un visage?
—L’image était dans le brouillard, mais j’ai vu de longs cheveux et un collier qui brille, balbutia le taciturne Sergei en hésitant sur les mots comme quelqu’un pour qui la discussion n’était pas une activité familière.
—Comprends-tu, à présent, comment cet homme est mort?
—Non. Le prêtre disait…

Zucchabar soupira. La religion hermétique et aveuglante des Pankowites l’avait toujours exacerbé au plus haut point.
—Oublie ce que ton père, ton prêtre ou Dieu lui-même t’aurait dit.
—Mon père te tuerait pour avoir dit ça, frémit le gamin.
—J’en doute, ricana l’oriental d’un sourire qui en dit long. Revenons à notre leçon, toussota-t-il. Cet homme-là qui gît devant toi n’a pas rendu son soupir en pensant à son dieu ou à son pays crotté de misères. Oublie les moines et les grands chefs, petit. Personne n’est capable de donner sa vie sans qu’on ne la lui arrache de force. Personne ne désire tout abandonner derrière. Imagine ce soldat, lors de ses derniers instants. La peur l’a terrassé. La triste vérité de cet homme, c’est qu’il n’y a pas de courage sur cette terre. Il n’y a que l’abandon.
—Donc, il est mort pour… rien?
—Je t’explique très mal, mais c’est à peu près cela, sourit joyeusement Zucchabar en enjambant le corps gelé. C’en est presque amusant, non?

Les paupières de Sergei papillonnèrent longuement.
—J’ai rien compris, avoua-t-il en voyant son compagnon éclater d’un rire dément.
—Tu comprendras éventuellement. On est toujours drôlement bête, à ton âge.

Soudain, un coup de feu éclata dans la nuit.
—J’en ai eu un! J’en ai eu un! s’égosilla Dragunov près des chariots.
Tous accoururent vers la provenance des cris pour trouver Dragunov, le fusil fumant et son pied botté posé sur un cadavre en uniforme noir.
—C’est un Réuniste? s’enquit Halbu, pistolet au poing.
—Il porte le badge du deuxième Korps, révéla le chasseur qui sentit un frisson lui parcourir l’échine.
—Alors on a là un éclaireur. On décampe. En vitesse! fit Halbu. Laissez tout, montez dans les wagons; ne gardez que vos armes!

***
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